Fin 2019, le premier jour de Bercy (pardon du Rolex Paris Masters), à la veille de partir en Australie pour la Fed Cup, je me suis inscrite au marathon de Chicago prévu le 11 octobre 2020 en me disant « l’année prochaine en octobre, ce sera calme au boulot, je pourrai prendre des jours, ce sera parfait pour faire un Major, bien préparer la course et prévoir et un petit séjour aux Etats-Unis ensuite. » J’étais à beaucoup plus de 42km de me douter de ce que 2020 nous réservait.
J’ai commencé mon Roland-Garros 2020 le 17 mars, en annonçant son report sur les réseaux sociaux. ça commençait à sentir le sapin depuis quelques jours (moi j’étais sous les palmiers en Martinique) mais j’avais répété à qui voulait l’entendre sur Teams « Hors de question d’apprendre l’annulation de Roland-Garros via un tweet de l’Equipe. » J’ai été servie, mais quand on m’a donné les nouvelles dates à twitter (20 septembre-04 octobre), j’ai pensé 1/ OUF ça n’est pas annulé et 2/ OUF à une semaine près, ça passe pour Chicago. Que nous étions naïfs après deux jours de confinement et le premier report du marathon de Paris ! On pensait sincèrement qu’en septembre tout serait réglé. Spoiler : ça ne s’est pas vraiment passé comme prévu.
Le confinement a continué, on a fait du renfo (et des apéros) sur Zoom, les JO ont été décalés, Wimbledon a été annulé, on craignait un peu une saison blanche en tennis (sur le running je gardais espoir). Pendant un moment je me suis dit que peut-être ni Roland, ni le marathon de Chicago n’auraient lieu (mais imagine ya les deux ?), mais pas le temps de penser à ça : en route pour la première course virtuelle : Roland-Garros « aux dates initiales » : des marathons de matchs d’archives à télécharger sur Youtube, à mettre en avant sur Facebook, Twitter, Instagram, des dizaines de chouettes contenus qui avaient pour mission de combler le vide laissé par Roland-Garros au mois de mai. Malgré une connexion Internet pas toujours ultra rapide, on a passé la ligne d’arrivée plutôt satisfaits.
Et puis, mi juin, au moment où j’aurais du envisager me remettre en forme pour préparer le marathon de Chicago, on a confirmé les nouvelles nouvelles dates de Roland-Garros : 21 septembre – 11 octobre. J’ai même calculé pour savoir si par hasard le décalage horaire pouvait me permettre d’être à la fois à la finale de RG et sur la ligne de départ d’un marathon américain mais la question est vite répondue : c’est non. La nouvelle m’a boostée professionnellement, mais ça m’a mis un coup de bambou sur la course à pied. En juillet, après Berlin et New York, le marathon de Chicago a été annulé à son tour, me laissant un peu moins de regrets et me rendant 250$.
Ensuite, l’été, les vacances, le creux de la vague, pourtant je l’ai vu en surf, on se prend toujours la 2e vague dans la tronche, surtout si on regarde pas trop ce qui arrive au large. J’ai fait du paddle, je me suis reposée, j’ai travaillé au Challenge Elite (le bonheur d’être de nouveau au bord d’un court). J’ai même un peu couru, alléchée par la nouvelle nouvelle date du marathon de Paris (15 novembre) (naïve), et je suis rentrée de vacances dans les temps pour préparer Roland-Garros.
C’est passé aussi vite qu’une fin de prépa marathon, vous savez la partie après le semi. Et comme une fin de prépa marathon, on s’est retrouvés dans le dur assez vite avec les annonces gouvernementales, les restrictions de jauge, les séances intenses de billetterie / service clients. Comme j’ai repris en parallèle le projet appart et qu’ils ont continué d’annuler toutes les courses ou de les mettre pendant Roland-Garros, j’ai encore plus levé le pied sur la course. J’ai quand même fait un horrible 5000m (pas de secret : le manque d’entrainement ne paie pas) le samedi juste avant le début des qualifications, histoire de rappeler à mon mental qu’on ne lâchait jamais jamais rien.
Le jour du premier entrainement de Nadal, je me suis retrouvée en photo sur le site de l’Equipe, pas pour une perf en course à pied (après le marathon de Paris ils mettent la liste de tous les finishers), mais parce que j’étais par hasard à côté de Guy Forget pour une stratégie jauge. Et finalement, ce tournoi a quand même été une sacré performance.
Il a fallu que je sois endurante pour tenir trois semaines, avec des journées qui ont pu s’éterniser parfois tard dans la nuit (si on avait su pour le couvre-feu, j’en aurais plus profité). Mais j’ai pu aussi travailler ma vitesse avec des sprints dans les allées pour arriver à temps pour telle ou telle entrée de joueur ou balle de match. (C’est loin le court 14). Ma VMA a sans doute aussi du prendre un coup tant certains matchs m’ont fait vibrer. Des temps de repos très courts, et la transition short > legging en plein milieu. Pas le temps pour les étirements ou la méditation.
Malgré la fatigue, le stress, la tonne de choses à gérer, et les conditions particulières de ce Roland-Garros 2020, j’ai réussi à ressentir les petites vibrations qui font ce qu’on aime à Roland. Un peu comme cette émotion du dossard, ce petit stress d’avant-course, cette excitation sur la ligne de départ. Pour moi, cette année, les petits moments de magie ont été le premier entraînement de Murray sur le Chatrier, la tournée de « mes » frenchies sur les courts d’entrainements pendant les qualifs, le match de Moutet (arrivée pour avoir la balle de match à 5-5 au 5e je suis restée beaucoup plus longtemps), la victoire à minuit 10 de Clara Burel, le dernier match de Pauline Parmentier commencé à 22h sur le 14, la folie Hugo Gaston évidemment, aller voir Nadal au 3e rang du Chatrier à une heure du matin dans le froid, les moments où la jauge ultra réduite donnait quand même une petite ambiance, le nouveau Chatrier illuminé et voir le toit s’ouvrir et se fermer… Et heureusement, les gaufres avaient toujours le même gout.
Ma formidable hygiène de vie (le jus vert à 6€ de l’épicerie et les « si ya un 5e set je vais chercher des M&Ms »), et mes habitudes de récupération (sommeil réparateur) m’ont sans doute sauvé la santé. Et mon équipe de choc m’a aidée à garder le moral quoi qu’il arrive et à résister à l’épuisement, au Covid, à la brigade sanitaire, aux questions sur la tenue des ramasseurs, aux matchs qui durent 5h au milieu de l’après-midi, aux conditions automnales « mais on ferme le toit là ??? ».
Contrairement à un marathon, je n’ai pas eu l’impression de me prendre le mur, mais il parait que ça arrive quand on est très bien préparé. Le vendredi des demi-finales, j’ai tellement souhaité un 5e set entre Djokovic et Tsitsipas que c’est arrivé. ça m’a couté 3h de sommeil et un paquet de M&M’s mais j’étais sur ma lancée, pas question de choisir la facilité. J’ai adoré la fin de tournoi, la finale juniors d’Elsa Jacquemot (meilleure finale), des matins au soleil avant des après-midis et soirées tempêtes de contenus.
D’habitude pendant Roland, je continue l’entraînement : je cours le matin, ou je rentre en courant le soir. Je cale un fractionné sur mon jour off, un fartlek le weekend tôt, et une course le dimanche de la finale. Cette année, c’était clairement au-dessus de mes forces mentales et physiques. J’ai quand même réussi à faire quelques footings et une course virtuelle de 10km (Odyssea), mais j’ai préservé mes réserves pour ce marathon du tennis.
Et puis, le 11 octobre, quand j’aurais du m’élancer pour mon 4e marathon, essayer de passer sous les 3h15, Rafael Nadal a gagné son 13e Roland-Garros. A la fin de cette année 2020 si bizarre, ça avait un côté rassurant « certaines choses restent comme elles sont censées le rester ». Il lui aura fallu à peine 2h41 pour battre Novak Djokovic en finale. C’est un joli temps pour un marathon ça 2h41….